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Conférence IMI – IAUPL « Internationalisation et professionnalisation de l’enseignement supérieur », Chisinau, Moldavie, 23-24 avril 2015 (sous le patronage de l’UNESCO)
Le colloque qu’organisent conjointement l’IAUPL et l’Institut International de Management de Chisinau (IMI-NOVA), membre de l’IAUPL, est l’occasion, par des regards croisés et des échanges entre universitaires de différents pays, membres des organismes internationaux et représentants du monde économique, de nourrir une réflexion sur les choix stratégiques à venir dans les domaines de l’internationalisation et de la professionnalisation de l’enseignement supérieur.
Avec la massification de ses effectifs, qui ont plus que doublé depuis l’an 2000, l’enseignement supérieur a connu un développement sans précédent. En Europe, le processus de Bologne et la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur tendent à faire converger les systèmes d’enseignement autour d’un modèle mettant l’accent sur l’employabilité des diplômés et sur le rapprochement entre les entreprises et les universités. Le processus de mondialisation a conduit à une internationalisation croissante de l’enseignement supérieur et à une professionnalisation connexe de celui-ci, soumis de façon croissante aux impératifs de l’Économie de la connaissance.
A travers le recrutement et la formation des étudiants et des enseignants, à travers les réseaux mis en place entre les établissements et les laboratoires, l’internationalisation des universités est devenue un lieu commun et une nécessité, tandis que la multiplication des accords, le développement de l’enseignement à distance et les nouvelles formes de délocalisation des formations obligent celles-ci à mettre en place de véritables stratégies d’internationalisation qui constituent un enjeu majeur de leur développement à venir. La professionnalisation des enseignements et de la recherche, pour favoriser l’insertion professionnelle des diplômés et accroitre le rythme des innovations, est également devenu une priorité mais on ne doit pas en avoir une conception trop étroite. Les savoirs fondamentaux peuvent constituer une base large et solide pour développer les compétences professionnelles.
L’internationalisation et la professionnalisation de l’enseignement supérieur recouvrent de nombreux enjeux stratégiques pour nos sociétés contemporaines en termes d’influences internationales, d’attractivité des chercheurs du monde entier, d’acquisition de connaissances et de technologies mais elles ont aussi de nombreuses implications sur la qualité de l’enseignement et de la recherche, la capacité et la volonté des acteurs, les conditions d’exercice du métier d’universitaire et les libertés académiques.
En effet, la professionnalisation des enseignements et de la recherche universitaire abouti souvent à mettre en œuvre des procédures contraignantes, censées garantir la qualité des travaux et des formations, qui bouleversent la nécessaire temporalité des activités scientifiques et aboutissent à une homogénéisation, voire une normalisation des activités de recherche en termes de méthodes et de thèmes et à une distanciation entre la recherche et l’enseignement. La Professionnalisation des cursus et le rapprochement des diplômes et des universitaires de l’entreprise ne doit pas écarter l’université de son cœur de métier et remettre en cause les libertés académiques dont bénéficient les universitaires dans l’exercice de leurs missions.
Il ne s’agit pas cependant d’opposer, comme certains le font, les exigences académiques et la norme professionnelle. La formation des professionnels compétents est depuis toujours une mission fondamentale des universités qui ont été, dés leur création, et au contraire des idées reçues des lieux de professionnalisation. La conception universitaire du savoir est une conception ouverte. Académiques ou pratiques, l’université n’exclut aucun savoir et c’est l’alliance des savoirs qui fonde l’innovation et le projet universitaire. Mais c’est dans le respect de ses missions fondamentales et de ses libertés académiques que l’université, dans un cadre international, pourra développer des formations qui construisent l’intelligence et l’autonomie des étudiants et une recherche Libre et innovante pour contribuer avec efficacité à la prospérité économique.
IAUPL participe au FORUM des présidents d’université en SHS de Russie et de France, les 27-28 février 2015
Thème de Communication: « Les valeurs internationales des libertés académiques et de la coopération France-Russie comme vecteurs de la qualité de l’enseignement supérieur«
La présentation des libertés universitaires est riche d’intérêt car ces libertés sont consubstantielles de l’Université et du métier d’universitaire. Les libertés universitaires sont les principes-clés de l’Université, elles permettent de définir en quoi consistent le métier d’universitaire et les compétences des universités. Les libertés universitaires sont alors à relier au concept d’indépendance des enseignants-chercheurs : « Les libertés universitaires sont un curieux mélange de textes et de tradition, de principes et d’usages ». La clarification conceptuelle de la liberté universitaire consiste à signaler la différence entre les libertés des universitaires et l’autonomie des universités. Si ces deux notions se chevauchent, elles restent néanmoins distinctes. L’autonomie des universités signifie l’indépendance administrative et financière des universités, mais elle doit aussi inclure l’indépendance des universitaires.
D’autre part, les débats sur le fait que l’autonomie des universités n’implique pas nécessairement les libertés des universitaires amènent à rediscuter ces deux notions, mais, même si ce thème est particulièrement intéressant et passionnant, il ne rentre pas dans le sujet annoncé du colloque. Nous concentrerons notre attention sur les thèmes de discussion annoncés : « Valeurs universelles humaines dans l’enseignement supérieur d’aujourd’hui; transmission des valeurs universelles aux étudiants par les sciences humaines et sociales dans les conditions de la globalisation et des réformes des systèmes de l’enseignement »; ce qui concerne la notion de « libertés académiques des universitaires » qui constitue le cœur de préoccupation de notre organisme que nous représentons dans ce colloque.
Nous voudrions donc présenter le concept des libertés universitaires de manière synthétique autant qu’il se peut, étant entendu qu’on comprend les libertés universitaires comme l’ensemble des droits et des devoirs des universitaires quant à leur mission spécifique : enseigner, rechercher/diffuser la connaissance, s’exprimer. Ainsi on montrera comment et pourquoi les libertés universitaires ont été conçues et admises à niveau international via leur expression et appartenance à des valeurs universelles (Autonomie, Curiosité, Bienveillance, Paix …), de quelles façons elles contribuent à la qualité de l’enseignement supérieur, enfin, comment elles rentrent en contradiction avec les évènements drastiques de l’Humanité (guerres, régimes, conflits, réformes, etc…) et comment notre ONG contribue à leur promotion et à leur défense au niveau international.
Cet article s’est inspiré des travaux de Guillaume Drago « Les libertés universitaires », publiés dans « La Liberté dans tous ses états : regards croisés sur la conception occidentale de la liberté » en 1999, et d’Olivier Beaud « les libertés universitaires (I) », 2010. Nous nous appuierons également sur une enquête réalisée en 2014 par la section française de l’IAUPL sur les libertés universitaires.
Selon l’interprétation française, les libertés universitaires expriment juridiquement un droit des libertés universitaires et un principe d’indépendance des professeurs des universités, élargie aux maîtres de conférences. Cette conception est en lien avec l’indépendance individuelle et intellectuelle des professeurs des universités.
Ce principe est défini par la Loi du 12 Juillet 1875 et consacré par la loi du 31 Mars 1945.
C’est surtout la mise en perspective des libertés universitaires fondamentales qui est présentée dans le Code de l’Education (art 57.) en France et dans une Recommandation de l’UNESCO 1997. En outre, l’article 952-2 du Code de l’Education stipule:
« Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissant d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et dans leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions de la présente loi, les principes de tolérance et d’objectivité ».
Plus concrètement, la liberté académique des universitaires se décline selon trois principales modalités :
- liberté de recherche et de publication avec un choix libre des thématiques et axes de recherches ;
- liberté d’enseignement dans la conception et la transmission des savoirs ;
- liberté d’expression.
Recommandation concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur (UNESCO, du 11 novembre 1997) cite:
« L’exercice des libertés académiques doit être garanti aux enseignants de l’enseignement supérieur, ce qui englobe:
– la liberté d’enseignement et de discussion en dehors de toute contrainte doctrinale,
– la liberté d’effectuer des recherches et d’en diffuser et publier les résultats,
– le droit d’exprimer librement leur opinion sur l’établissement ou le système au sein duquel ils travaillent,
– le droit de ne pas être soumis à la censure institutionnelle et celui de participer librement aux activités d’organisations professionnelles ou d’organisations académiques représentatives».
La liberté académique trouve son origine dans les traditions universitaires. Le constitutionaliste Georges VEDEL la définissait comme « celle d’un homme libre à qui sont confiés d’autres hommes libres ».
La liberté d’expression, l’indépendance du chercheur, la nécessaire neutralité de comportement et l’objectivité du savoir, sont les conditions qui permettent l’exercice même de l’activité de l’universitaire. Néanmoins le dispositif juridique reste assez flou pour certains points. La liberté d’expression va de soi à partir de la Déclaration des Droits de l’Homme. Il convient d’attribuer aux universitaires, d’une part la liberté d’expression au sein et en dehors des murs de l’université et, d’autre part, la liberté d’expression à l’intérieur et en dehors de leurs champs disciplinaires (O. Beaud).
La liberté académique est accordée à un universitaire parce qu’il est un diffuseur libre mais aussi le concepteur des connaissances. La création des connaissances est ‘sans limites’ et exponentiellement grandissante dans la Société de la Connaissance. Un universitaire a la liberté d’apporter un regard critique sur la création des nouvelles connaissances des autres universitaires et de pouvoir exprimer librement ces critiques devant la société. Les universitaires peuvent aussi apporter une expertise (par une méthodologie libre au choix) dans la société civile. Cette expertise délivrée à la société ne doit pas être influencée par les raisons politiques ou économiques, elle doit correspondre aux valeurs véhiculées par l’universitaire. A ceci se rajoute une contrainte posée par la société mondialisée et globalisée qui transforme l’Université en un lieu de compétition mondiale avec les classements internationaux. Ceux-ci instrumentalisent l’Université et les universitaires au profit des ceux qui veulent profiter des bons classements de leurs universités pour asseoir leurs dominations politique et économique. C’est contre cette menace globale de domination mondiale, opérée par le biais du changement de la mission de l’Université, que les libertés académiques peuvent protéger les universitaires. Mais celles-ci doivent aussi être protégées. Les libertés académiques sont liées aux valeurs de la paix, de la bienveillance, de la tradition, de l’autonomie, de la stimulation, de la création des connaissances. Une forte partie de ces valeurs appartient au monde des universitaires.
L’indépendance de recherche et la liberté de publication nécessite le choix libre d’un thème de recherche et d’un positionnement disciplinaire en lien avec les activités d’enseignement universitaire. Pour comprendre la mission d’enseignement des universitaires et la portée de la liberté académique, il faut rompre avec un ancien dogme : celui ‘d’enseigner la vérité toute faite’. Dans le cadre de l’Université ancienne, l’enseignant lors de la transmission des connaissances n’a pas droit à l’erreur au titre de la transmission des « connaissances qui existent ». L’Universitaire doit rechercher la vérité en dehors des dogmes politiques et économiques que ce soit pour un travail fondamental ou appliqué, sponsorisé par les entreprises ou soutenu par les politiques des établissements. Une telle conception aboutit à redéfinir autrement la liberté académique qui implique le ‘droit à se tromper’ et ainsi de chercher à nouveau, par le biais des méthodes scientifiques et par l’acceptation des critiques des pairs universitaires appartenant à un champ disciplinaire. C’est ici que la recherche couplée avec l’enseignement fait avancer l’Université et les universitaires vers la qualité.
La liberté de recherche et de publication qui est mise au premier plan, est donc consubstantielle de l’enseignement. Elle est le vecteur de la qualité de l’enseignement supérieur. Néanmoins on ne doit pas créer un déséquilibre productiviste en retenant le seul critère de la bibliométrie dans l’appréciation des enseignants-chercheurs lors du recrutement.
« Aujourd’hui je n’obtiendrais pas un poste universitaire. C’est simple : je ne pense pas que je serais considéré comme assez productif », avoue dans une interview le Professeur Peter Higgs, Lauréat du prix Nobel de physique 2013. En effet, ce sont ses recherches de 1964 qui ont lui valu sa carrière universitaire et qui lui ont donné une reconnaissance mondiale en 2013 sans avoir jamais eu le nombre de publications actuellement exigé par les établissements universitaires en situation de concurrence et par les critères bibliométriques, que ce prix Nobel critique âprement.
Un autre aspect de la liberté académique concerne le choix des thématiques et du positionnement disciplinaire de l’universitaire, la liberté d’appartenance à une équipe de recherche, à une discipline académique et au choix d’une méthode de production des connaissances. Certaines expériences récentes dans la recherche russe d’une part intègrent les Sciences Humaines et Sociales dans les Sciences Exactes dans un contexte russe de la Convergence NBICS, et d’autre part amènent à supprimer le champ transdisciplinaire au profit de celui « supra-disciplinaire ». En France, certaines universités suppriment récemment les nominations disciplinaires des HDR (Habilitation à Diriger des Recherches) au profit d’une HDR ‘générique’ sans faire appel à une discipline. La liberté académique de l’universitaire de ce point de vue consiste à choisir librement le positionnement disciplinaire ou non.
Concernant la liberté d’enseignement, qui est une composante essentielle de la liberté des universitaires. Celle-ci est indispensable à la qualité de l’enseignement supérieur en prenant en compte des savoirs en création à l’opposé des savoirs ‘constitutifs’ qui sont souvent transmis dans les établissements « non-universitaires ». C’est pourquoi les enseignants-chercheurs n’enseignent pas un programme imposé, ne transmettent pas la pensée établie par des forces extérieurs, mais enseignent leur propre pensée, produite à partir des expériences de recherche et en s’inscrivant dans un dialogue avec les collègues et avec le monde extérieur. Une telle liberté d’enseigner, d’inventer de nouvelles pratiques d’enseignement n’a un sens qu’en libre dialogue, de propositions des innovations pédagogiques. Elle conditionne un travail avec les collègues de façon collégiale, avec le monde extérieur, notamment avec les acteurs des entreprises pour une professionnalisation des étudiants, et avec les institutions publiques pour les Sciences Sociales, et finalement, avec les acteurs de l’Etat qui devrait être un garant institutionnel des libertés académiques. Le temps d’un universitaire se réduit de plus en plus avec la multiplication des charges et des fonctions: secrétariat administratif, management d’équipe, surcharges de gestion numérique ( mails, plateformes de gestion, etc), enseignement et visites d’ entreprises, recherches à partir desquelles il est évalué. La réduction du temps, caractéristique des métiers intellectuels, devient une menace forte aux libertés académiques et à la recherche. Le temps de réflexion consacré à la recherche, aux rencontres avec les collègues en France et à l’étranger, que l’institution devrait offrir à l’universitaire, est de plus en plus réduit et sacrifié aux multiples tâches. La liberté devient simplement formelle…
Dans la conception actuelle de l’Université, l’enseignement et la recherche sont indissociables, ceux-ci constituent un élément indispensable de la qualité de l’enseignement supérieur. Il y a dans la fonction d’enseignant une nécessaire relation entre la création et la transmission des connaissances, parfois inconsciente et tacite. Et ce caractère consubstantiel à tout enseignement nourrit la recherche. Les missions dont doit s’acquitter un enseignant-chercheur au cours de sa carrière sont multiples mais toujours reliées aux libertés académiques : enseigner et initier les étudiants à la recherche ; s’adonner lui-même à la recherche, à titre personnel ou en équipe ; diffuser le savoir auprès du public et à l’international ; porter la science dans les pays étrangers et participer aux rencontres scientifiques ; enfin, prendre pour un temps une part effective à la gestion de l’unité administrative à laquelle il appartient. Les libertés universitaires sont reliées à un système de valeurs universelles : Autonomie, Bienveillance, Tradition, Paix, etc… qui est en lien avec tous les acteurs de l’université. En ce sens, les contributions des enseignants-chercheurs en Sciences Humaines et Sociales pour la France et la Russie sont évidentes et riches pour protéger la liberté universitaire dans le monde.
Lors de son intervention à la Table Ronde sur la « Pax Academica », organisée en 1988 par l’UNESCO, Louis Philippe LAPREVOTE, ancien Secrétaire Général de l’IAUPL a déclaré :
« … pourquoi ne pas mettre plus souvent à contribution les universitaires lorsqu’entre différents pays ou à l’intérieur d’un même pays, la paix est menacée. La communauté internationale a eu suffisamment d’imagination pour inventer les casques bleus lorsqu’il s’agissait de contribuer au rétablissement ou au renforcement de la paix dans certaines régions du monde…Pourquoi n’a-t-on jamais songé à créer un véritable corps de ‘toges bleues’ pour assister les universitaires des pays en guerre et ceci, bien que l’acte constitutif de l’UNESCO rappelle que c’est dans l’esprit des hommes que la guerre trouve ses racines ? Est-il irréaliste d’imaginer que des universitaires extérieurs au conflit pourraient, dans le cadre d’une mission internationale, contribuer à rapprocher les enseignants et les étudiants des parties concernées, c’est-à-dire apporter une pierre modeste à la Paix ? La Pax Academica n’apparaîtrait alors plus seulement comme l’état de paix dans lequel se trouveraient les universités, mais comme une contribution des universitaires à la Paix dans le monde ».
A cette intervention, les membres de l’IAUPL ajoutent à ce jour : « les universitaires porteraient avec honneur les ‘TOGES BLEUES’ et défendraient la Paix avec leur Libertés Universitaires préservées » …
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